Entretien avec Arlette Soudan-Nonault, Ministre de l’Environnement, du Développement Durable et du Bassin du Congo depuis le 15 mai 2021, qui a à cœur de mobiliser la communauté internationale vers de réelles actions dans la lutte contre le changement climatique en Afrique.
Coordonnatrice technique de la Commission Climat du Bassin du Congo, vous préparez le Sommet des trois plus grands bassins forestiers mondiaux. Qu’attendez-vous concrètement de cet événement ?
L’enjeu central du Sommet « Amazonie/Bornéo-Asie du Sud Est et Mékong /Congo, Sommet des trois bassins des Ecosystèmes de biodiversité et des forêts tropicales » qui se tiendra à Brazzaville les 26, 27 et 28 octobre prochains est de constituer, à travers l’union des trois bassins, une alliance mondiale, des écosystèmes de biodiversité et des forêts tropicales, une Alliance/Coalition dotée d’une gouvernance strictement Sud – Sud, structurant les trois écosystèmes mondiaux qui représentent 80% des forêts tropicales à travers le monde, regroupent les 2/3 de la biodiversité terrestre et assurent le rôle vital de régulateur mondial de l’équilibre carbone et de la vie sur terre. Les trois bassins devraient capter 80% de la mobilisation financière existante et future annoncée lors de la COP 27 pour le climat et de la COP 15 pour la biodiversité. Cette alliance mondiale des trois bassins constituera une force de proposition et de négociation légitime, au sein des instances multilatérales du climat et de la biodiversité.
Le Sommet vise six objectifs stratégiques :
– définir et adopter les grandes lignes d’un schéma de gouvernance mondial à travers un accord de coopération entre les trois bassins et la formation d’une alliance mondiale des trois bassins ;
– élaborer une stratégie commune, dotée d’un programme de travail et d’un portefeuille de projets d’investissement en vue d’anticiper et préparer les requêtes de financement auprès des mécanismes de financement existants et à venir ;
– signer des conventions de financement avec les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux, la philanthropie mondiale et développer des mécanismes financiers avec le secteur privé notamment avec la création d’un marché carbone souverain pour assurer un financement pérenne des trois bassins ;
– créer une plateforme de coopération scientifique et technique sous-régionale et intercontinentale et renforcer les capacités dans les trois sous-régions ;
– décloisonner les questions climatiques et de biodiversité, étroitement liées à l’échelle des problématiques écosystémiques et réconcilier le droit de l’environnement issu de l’Accord de Kunming-Montréal et du droit du climat issu de l’Accord de Paris ;
– constituer une organisation de proposition et de négociation légitime de référence au sein des instances multilatérales du climat et de la biodiversité. L’atteinte des objectifs requiert l’adoption à Brazzaville des lignes directrices qui structurent la vision politique et stratégique de l’Alliance/Coalition des trois bassins dont les principes fondateurs seront adoptés par les parties prenantes lors du Sommet et qui feront l’objet de la déclaration des Chefs d’Etats et de Gouvernements des trois bassins. Il est par conséquent fondamental que ces principes et les textes qui les définiront fassent l’objet d’une vaste consultation de l’ensemble des parties prenantes dans les trois bassins en vue de bénéficier de leurs contributions, de leur adhésion et de leur approbation en vue d’en garantir la mise en œuvre et le résultat.
Faut-il relancer la coopération Nord-Sud ? La participation de l’Union européenne est-elle importante ?
La coopération nord-sud nous parait indispensable pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris notamment le maintien de la hausse de la température à 1,5 degré Celsius. Les engagements en termes de compensation des pays du nord plus pollueurs à l’endroit des pays du sud bons élèves en termes d’atténuation donc moins pollueurs ne sont pas jusqu’alors respectés.Il sied de noter que le sommet de « l’Amazonie/Bornéo- Asie du Sud Est et Mékong /Congo, Sommet des trois bassins des Ecosystèmes de biodiversité et des forêts tropicales » réunira plusieurs catégories de participants et parmi ceux-ci figurent les partenaires financiers : Les Fortunes «500 » et organisations philanthropiques ; Les bailleurs de fonds multilatéraux ; Les marchés financiers, dont l’accompagnement est nécessaire pour l’organisation réussie du Sommet. La participation de L’Union Européenne est importante et se fera à travers la Communauté scientifique qui sera représentée par les membres du groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du climat (GIEC), de la Plateforme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (l’IPBES) et des experts climat et biodiversité nationaux des États engagés (tel le département français de la Guyane qui fait partie du bassin amazonien), ainsi que les représentants des Institutions de recherche et de formation sur les forêts tropicales installées en Amérique du Nord (Canada et USA), en Europe, en Asie, en Australie et en Nouvelle Zélande.
Dans le Bassin du Congo, qui devrait percevoir les crédits Carbone ? Les projets ou les pays ?
Le changement climatique s’accélère et la pression monte sur les pays et les entreprises pour la mise en œuvre effective de l’Accord de Paris sur le climat.
La demande des crédits carbone par les pays africains devient de plus en plus pressante. L’Afrique et son secteur privé ne profitent pas du tout du marché carbone. Pourtant cette Afrique abritant le deuxième poumon écologique mondial et de vastes écosystèmes absorbeurs et stockeurs de carbone (forêts, mangroves et tourbières…), ne reçoit actuellement seulement que 11% des compensations carbone du monde.
Le Bassin du Congo avec ses vastes forêts tropicales est assis sur une mine d’or économique, une manne verte grâce à son potentiel de crédits carbone encore peu exploité. Pour cela, ces pays devraient bénéficier et des compensations et des crédits carbone. D’où l’élaboration par la Commission Économique pour l’Afrique du protocole normalisé et harmonisé sur les gaz à effet de serre pour promouvoir l’intégrité du marché carbone et les investissements relatifs aux activités économiques résilientes aux changements climatiques dans les pays membres de la Commission Climat du Bassin du Congo. Dans la plupart des projets carbone, les revenus tirés de la vente des crédits carbone font l’objet d’un partage équitable entre les bénéficiaires (le porteur du projet et les populations riveraines et dans la mesure du possible l’Etat). Ce partage est fonction des principes définis dans le cadre du mécanisme de partage des bénéfices.
Quelle est votre stratégie concernant la Contribution déterminée au niveau national (CDN) ?
La République du Congo, conformément aux dispositions de l’Accord de Paris ratifié le 21 avril 2017 avait procédé à la révision de sa première CDN en 2021 et a soumis le document révisé au Secrétariat de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), le 2 août 2021.
La République du Congo, bien que faisant partie du groupe des pays en développement à faibles émissions de gaz à effet de serre, entend contribuer à l’effort mondial en rehaussant son ambition dans la lutte contre le changement climatique.
La stratégie adoptée pour la révision de cette CDN s’est appuyée sur 5 piliers :
– Le renforcement de la volonté politique et de l’adhésion des parties prenantes nationales et des partenaires au développement ;
– La révision, l’alignement et l’actualisation des objectifs, des politiques et des mesures établies dans les domaines du climat et du développement durable ;
– L’intégration de nouveaux secteurs et/ou gaz à effet de serre dans la CDN révisée ;
– L’évaluation des coûts et des possibilités d’investissement des actions prioritaires retenues dans les domaines du climat et du développement durable ;
– Le suivi des progrès et le renforcement de la transparence.
La République du Congo a amélioré sa CDN en élargissant le champ des secteurs faisant l’objet d’atténuation et en ajoutant le secteur de la foresterie qui n’avait pas été pris en compte lors de la précédente soumission de 2015. Ainsi, les secteurs retenus ont été :
– l’énergie avec les sous-secteurs de la production énergétique ;
– le transport ;
– les ménages et les services ;
– les procédés industriels et utilisation des produits (PIUP) ;
– l’agriculture ;
– la foresterie et autres affectations des terres ;
– les déchets.
Selon la CDN révisée, le niveau de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) sera de 56,91% en 2025 et de 54,66% en 2030 dont 51,69% et 47,50% respectivement nécessitant un soutien international (scénario conditionnel). Avec l’appui de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le cadre du programme Adapt’Action, la République du Congo a, en décembre 2022, élaboré le plan d’action de mise en œuvre de la CDN révisée. Ce plan d’action comprend les mesures d’atténuation ; les mesures d’atténuation et d’adaptation pour le secteur de la foresterie et autres affectations des terres (AFAT) ; les mesures d’adaptation ; les mesures transversales.
Comme vous le voyez, la République du Congo , très faible émettrice de gaz à effet de serre, fait plus que sa part dans le combat mondial contre le réchauffement. Notre revendication d’une justice climatique n’en est que mieux fondée.